Choix d’une agriculture et les lois d’orientation agricoles
À la Libération, la France fait le choix de l’exploitation familiale
De 1920 à 1939, la France, contrairement à l’Amérique ou à l’Angleterre, peine à augmenter sa production agricole. De très nombreuses familles de paysans restent figées dans une activité laborieuse, familiale et manuelle fondée sur l’autoconsommation associée à l’écoulement de leur petite production excédentaire sur les marchés locaux et régionaux. Cette petite agriculture, à laquelle appartenait alors celle de l’Ain, place l’épargne bien avant l’investissement ce qui la laisse en dehors d’une modernisation exigeante en capitaux.
La France doit importer blé et viande
En 1945-1946, la France sort exsangue de cinq années de guerre et d’occupation. Elle doit importer 26 millions de quintaux de céréales, 92 000 tonnes d’huile, 15 000 tonnes de beurre et 318 000 tonnes de viande. Cette situation conduit à la création en 1946 de l’INRA (Institut National de la Recherche agronomique) dont le principal objectif est de permettre à la France d’atteindre l’autosuffisance alimentaire.
Étudier le modèle Américain
En 1946, une quarantaine de jeunes agriculteurs français participe à un séjour de six mois dans des fermes Américaines. Il s’agissait d’étudier le progrès technique et la mécanisation qui s’offraient à cette génération soucieuse de s’extirper des pratiques désuètes et routinières d’avant la guerre. Dans l’Ain, Pierre Cormorèche, militant de la JAC, participe à la sélection de ce groupe de jeunes paysans. De cette épopée outre-Atlantique, Pierre Cormorèche en revient convaincu qu’il est possible de développer en France une autre agriculture capable de réduire la pénibilité d’un travail encore en France largement manuel. Qu’il est possible aussi, à condition de s’organiser sur le plan économique, de moins subir la loi des marchés.
Pierre Cormorèche dans la ferme du Michigan où il a passé son stage Américain.

Carnet de notes de Pierre Cormorèche écrit pendant son stage aux États-Unis.
L’expérience de la ferme de Boulieu

En 1962, à Grignon à la finale mondiale de labours. De gauche à droite : Marcel Deneux président du CNJA, Perron, Charles De Gaule, président de la République, Edgard Pisani, ministre de l’agriculture.
Dans ce contexte, quelle agriculture la France doit-elle se choisir ? Deux tendances s’affrontent : d’un côté, les tenants d’une agriculture inspirée par les grandes fermes déployées aux États-Unis ou en Australie, de l’autre, les partisans d’une agriculture familiale intégrant les progrès techniques du moment associés à une forte mécanisation et dirigée par des agriculteurs chefs d’exploitation. Avec le soutien d’un CNJA créé et animé par la jeune génération issue de la JAC, le débat fut tranché par le président de la République Charles de Gaulle et son ministre de l’agriculture, Edgard Pisani. Les lois d’orientation agricoles de 1960 et 1962, ont traduit ce choix politique fondé sur le développement de l’exploitation familiale.
Pourtant, dès 1962, un grand domaine, la ferme Boulieu-Vernay, fut créé à Montalieu-Vercieu en Isère. Le domaine de Boulieu, doté d’un troupeau Holstein performant venu du Canada, cherchait à mieux organiser le temps de travail pour permettre à chacun de se libérer des contraintes d’un élevage laitier exigeant. Soixante ans plus tard, la ferme de Boulieu, cédée plusieurs fois, ne peut économiquement fonctionner qu’en transformant son lait en fromages et en valorisant ses bêtes à viande via les circuits courts. En dépit des résultats techniques montrés en exemple, les prix payés aux éleveurs du lait comme de la viande n’ont pas permis de pérenniser, dans sa forme industrielle initiale, la ferme de Boulieu

La ferme de Boulieu (Isère) et ses 1 000 vaches se voulait moderne et industrielle.
Les lois d’orientation agricoles de 1960 et 1962
La loi d’orientation agricole de 1960 et sa loi complémentaire de 1962 visaient surtout à restructurer un foncier morcelé et peu productif pour créer des exploitations d’une surface moyenne de 30 à 50 ha permettant de faire vivre un ménage. C’est le modèle d’exploitation à deux UTH (Unité de Travail Humain) dans des conditions de revenu équivalent au reste de la population active du pays.
L’opposition des propriétaires aux remembrements, comme ici en Bretagne en 1972, a également touché l’Ain.
Ce premier objectif est à l’origine de la création des SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural) et du FASASA (Fonds d’Action Social pour l’Aménagement des Structures Agricoles) qui permit la création des ADASEA (Association Départementale pour l’Aménagement des Structures et Exploitations Agricoles) et la mise en place l’IVD (Indemnité Viagère de Départ), une mesure emblématique de l’époque. Les lois réactualisent le « contrôle des cumuls d’exploitations » pour limiter l’accaparement des surfaces libérées au seul profit des plus entreprenants, ou des plus fortunés. Le statut du fermage établi en 1946 est consolidé dans le but de permettre la modernisation des exploitations par le fermier. La loi de 1960 institue les organisations de producteurs regrouper la production de plusieurs exploitations agricoles et mutualiser sa mise en marché. La loi complémentaire du 8 août 1962 fonde juridiquement les GAEC (Groupements Agricoles d’Exploitation en Commun) aujourd’hui très répandus. Les lois d’orientation de 1962 ont permis à l’agriculture française de s’inscrire dans la Politique Agricole Commune (PAC), instaurée par l’Europe en 1962.

L’IVD a facilité l’installation de jeunes agriculteurs et permis aux agriculteurs âgés d’améliorer leur modeste retraite agricole.